lundi 2 mai 2011

Artif spectaculaire, paroi de grande ampleur, bienvenue à la "Paroi Dérobé"

"Shinning", un nom qui résonne dans ma tête depuis 3 ans. Lorsque mon pote Ben Guigonnet m'en avait parlé ses mots avaient été : « c'est un truc de dingue, 50 à 60 mètres de dévers pour 250m de hauteur, ça penche grave. »
La paroi Dérobé
De plus les cotations artifs dans l'arrière-pays niçois, ça tape, se sont les vraies cotations new age. Le topo récupéré peu de temps après est resté, depuis cette discussion, dans mon ordi, dans le fichier "projet".

Un matin je regarde mon agenda et je vois qu'il y a une semaine de libre, je réfléchis un peu et là une envie d'artif monte en moi, je me souviens de ce projet et c'est parti. Une petite annonce sur facedebouc pour recruter un ou deux compagnons de cordée et le tour est joué. Il n'y a pas foule qui répond. Au final c'est Benji Ribeyre qui sera de la partie, un jeune Romanais (26) que je connais bien.
Benji à droite et moi à gauche
C’est un gars solide ce qui est une bonne qualité en artif. Mercredi, on descend chez ma copine dans l'arrière-pays niçois à 20 minutes d'Aiglun (pratique ça). Le soir nous préparons les sacs et engloutissons un énorme plat de lasagne maison, merci Nini !
Sur le parking d'Aiglun, on fait encore les malins ...
Jour 1, jeudi, c'est parti pour la partie la plus ingrate de la pratique de l'artif : les portages. En tout 80/90 kg à transporter jusqu'au pied de la voie (dont 30 litres d'eau). Et ce n'est pas une mince affaire lorsqu'il faut se taper l'approche de cette paroi Dérobé, elle porte bien son nom celle-là!!! On va faire deux portages de 20/25 kg chacun et c'est déjà beaucoup croyez-moi.
Au menu sur cette approche il n'y a pas que de la marche, remontées sur cordes fixes,  rappels,  traversées scabreuses nous attendent, et tout ça chargé comme un mulet. Au final on va mettre quasiment 2h00 pour faire un aller et 1h00 pour revenir, donc 6h00 de portage, quand je vous dis qu'il faut être solide...
Les sacs arrivés à destination, on est défoncés, on a l'impression qu'un semi-remorque nous est passé dessus dans la bataille.
Benji dans L1 au dessus de lui le premier gros toit, la L2
Benji attaque la première longueur en 5c/A1+, ça va vite sauf pour le hissage car Benji à beau faire ses 70kg, ce n'est pas assez pour hisser les 2 patates et le portaledge. J'enchaîne pour la deuxième longueur en A2+/6a+, là encore ça va assez vite et on prend de suite pas mal de dévers avec un bon toit de 7/8 mètres d'avancée. Benji enquille la troisième longueur en A2 avec un toit de 7/8 mètres encore.
L3, des vrais toits , je vous dit
Il commence à se faire tard du coups on dormira à R2, le déséquipement de L3 ce sera pour demain. La séance de montage du portaledge est un peu acrobatique sur ce relais peu commode.
On est content, car pour cette première journée on a fait pas mal de longueurs.

Jour 2 : Le réveil est difficile mais ça va, on va mettre 2h00 à décoller car le bivouac est peu confortable, pas de vire et légèrement dans le dévers, c'est galère de tout plier.
Le départ de la voie se trouve vers l'arbre en bas à droite ...
Benji remonte sur la corde fixée au relais et moi je déséquipe L3. Je repars dans la foulée dans L4, 35 mètres en A2+, Benji s'endort à moitié de bon matin. Dans le topo, des sections en 5b puis 6b sont osées et peu évidentes lorsque l'on est pendu plein gaz et en baskets.
L5, 5c foireux puis A1+ très troublant. Benji s'engage un peu à reculons dans cette longueur,  parce qu'il faut escalader  des écailles branlantes et ne rien faire tomber car je suis juste en dessous.
Cette longueur aux cotations abordables va lui entamer son capital confiance et motivation, car le toit avec une belle fissure à friends va se révéler piégeux.
En effet la fissure, parfaite pour accueillir des friends un poil large (N° 2 et 3), les rejettent de façon intempestive. A noter que cette fissure est un nids d'oiseau (hirondelles) avec pas mal de guano. Après analyse on en conclue qu'a force de passages, les oiseaux ont poli la fissure avec leur petites ailes et pattes rendant le rocher horriblement lisse. Benji va se faire avoir une fois en chutant à moitié après qu'il ait mis un excellent friend, dont il n'imaginait pas une seule seconde qu'il allait sauter. Il arrive enfin au relais, assis sur un arbre et soulagé, mais me fait remarquer que la prochaine est un peu du même ordre ...

L6, c'est la troisième longueur de la journée, A1+. Il s'agit encore d'un toit à franchir avec une fissure et des trous polis par ces satanés oiseaux. Moi aussi je n'y vais pas de bon cœur, surtout que la punition en cas de chute est un énorme genévrier avec de bonne branches cassantes (Un seul trou de cul me suffit ...).
Non, pas l'arbre ...
Je constate moi aussi que les friends ne sont pas nos amis pour le coup! Je vais blinder tous mes points de progression quitte à tous les coupler par deux.
L7, A3, 15 mètres ! On ne sait pas à quelle sauce Benji va être mangé, la longueur depuis R6 n'a pas l'air dure et pourtant ...
Après quelques mètres dans un dièdre il faut qu'il traverse jusqu'au relais sur une strate large et bouchée. Il me lance : "c'est A3 bloc comme cotation ! Je ne peux rien mettre, les pitons c'est mort, et les friends trop foireux" Après une progression lente, toute en douceur et sans à-coups, Benji finit par craquer quand, au bout de 20 minutes, il n'a toujours pas bougé. Il a repéré un piton en place, 1,5 mètres à droite de lui. Il s'est mis en tête d'y aller en libre en misant sur le fait que le piton est bon !
Le voilà parti, en stress intégral car les points posés avant sont foireux et la grimpe en basket rude. Il donne tout, arque tout ce qu'il peu et arrive à clipper le piton et me dit : "Je vais vomir !" il a tellement forcé et stressé sur ces quelques mouvements que son estomac veut le remercier. Après quelques râles et toussotements ça lui passe. Il court jusqu'au relais, il est 21h00 passées.
Le temps d'installer le dodo et de manger, on s’endort vers minuit, dure journée.

9h30 et toujours pas debout !!!

Jour 3 : L'antidéroulante.
Le réveil de ce matin est très dur, le corps à bien souffert, le dos est foutu, les abdos courbaturés, les mains gonflées, bref tous les bienfaits de l'artif en dévers. J'ouvre les yeux et je vois ce qui m'attend au-dessus du portaledge, L8, A3, 35 mètres. Je vois surtout les deux plombs en place et les trois crochets qui les suivent, d'après le topo. J'ai connu mieux comme point de renvoi afin de protéger le relais. Et pour couronner le tout : encore un genévrier au relais. Ça ne donne pas envie de se réveiller tout ça.
La météo est mauvaise, il pleut, on s'était dit que peut-être on passerait la journée dans la tente du portaledge mais c'est bien trop dévers et à l'abri pour se la couler douce.
L8, A3 bien négocié
Départ tardif dans L8, vers 11h00, pour 4h00 d'artif !!! Benji s'endort à plusieurs reprises et j'avance version escargot, mais pas de frayeur, cool.
"Je crois que l'on ne va pas sortir aujourd'hui", ma foi ce n’est pas grave, on a encore de la bouffe et de l'eau à finir.
L9, A2+, 25m. Il est parti comme une balle et fini comme une douille..., encore 4h00 pour cette longueur... Petite consolation pour Benji qui fait péter une énorme écaille au relais pour agrandir la vire. Le projectile va mettre 5/6 secondes avant d'impacter le sol version obus de la guerre de 14-18.
Et bien ce sera tout pour aujourd'hui, re-dodo à minuit. Demain, il nous reste deux longueurs dont une en libre en 5b, ça devrait faire.

Jour 4, on sort. On s'est obligé à fixer une heure de départ, du coup le réveil est encore plus difficile que les derniers. Mais c'est ce qu'il faut car on est tout proche de retrouver la terre ferme. Je pars dans L9, A2, il est 9h00 du matin et pour le coup ça va vite, enfin une longueur qui déroule.
vive le hamac, R9
En un peu plus d'une heure et demie je suis au relais, ça y est le plus dur est derrière nous.
Belle ambiance à R10 !!!
L'ambiance sous les pieds est énorme, je n'ai jamais fait une voie d'artif avec autant de gaz ... grandiose entre 50 et 60 mètres d'avancée au total, ça laisse rêveur, non?
Benji se charge de la dernière longueur de 40 mètres qui louvoie entre les arbres, ça annonce un hissage d'anthologie.
"Relais" me dis Benji avec le sourire de délivrance, encore un peu d'effort pour aider les sacs à passer les arbres et c'est fini. Nous voilà en haut de la paroi Dérobé, enfin sur nos deux jambes, ça fait du bien. Il nous faut à présent rejoindre à pieds Aiglun à 1h30 de marche avec un sentier quasi inexistant, des barres à éviter et une remontée un poil épuisante.
Nous voilà au village touts suants, mais contents d'en avoir terminé pour de bon avec la croix en poche.
Maud et son père arrivent en BJ40 pour nous récupérer et nous ramener pour fêter, demain, le lundi de Pâques : objectif à présent, se gaver de bons petits plats et oublier ses vieux lyophilisés dégueux.

Le sentiment général après cette voie est une apaisante sensation de douceur et une joie partagée avec Benji, d'avoir réalisé cet itinéraire de grande ampleur où la retraite est quasi impossible, merci Benji d'avoir répondu à l'appel.