samedi 8 décembre 2012

Hold up au Fitz Roy !!!

Un rêve devenu réalité

L’analyse des différents météogrammes en tous genres est la seule occupation qui occupe les habitants d’El Chalten. Tout tourne autour de ces diagrammes et autre courbes que chacun tente de comprendre afin d’échafauder des plans pouvant amener au sommet d’une montagne.
C’est donc quelques jours après être arrivé dans la capitale du massif du Fitz Roy que se profile une fenêtre exploitable. La météo annoncée prévoit pour les 4 prochains jours à peu près cela :

  • Lundi 3, 24 heures de précipitations mais sans tomber dans l’extrême et sans vent.
  • Mardi 4, grand beau sans vent
  • Mercredi 5, le vent se renforce et le beau est toujours présent
  • Jeudi 6, des vents violents apparaissent, rendant toute escalade impossible voir dangereuse au vu des 180 km/h de vent  prévu !!!
Pour nous se sera le Fitz Roy par la voie « Franco-Argentine ». Notre stratégie et l’objectif, au vu de ces prévisions est la suivante :

  • Lundi 3, on part léger et on marche le plus loin possible, sous la pluie-neige, quitte à arriver au pied de la voie ; voir bivouaquer dedans si c’est possible. 6 heures de marche pour rejoindre le camp avancé, une heure d’approche jusqu'à la rimaye et encore environ 3h00 pour rejoindre le pied de la voie, 400m plus haut. Pour cela nous projetons de partir vers 5h00 du matin.
  • Mardi 4, c’est normalement la meilleure journée, du coup il faut l’exploiter à fond. Nous essayerons de rejoindre le sommet et de redescendre au camp du « Paso Superior » pour se reposer une nuit et redescendre avant que les vents ne deviennent trop forts. Bien sûr au vu de la neige qui va tomber nous partons dans l’idée de gravir la voie en mode dry tooling, car il est annoncé entre 20 et 50cm de neige. Cette voie se fait normalement en chausson d’escalade mais nous ne prenons qu’une paire de chausson en pariant sur le fait que ce soit impossible de gravir la voie en escalade pure.
  • Mercredi 5, retour pour El Chalten en 4h30.
Ça, c’était le plan prévu, avec deux repas du soir (1xpolenta et 1x purée sans sauce) et 15 barres de céréales par personnes pour les 3 jours. Pour le petit déjeuner un sachet de Tang par matin et un paquet de biscuit. Là on est vraiment partis light en terme de nourriture et on le regrettera.
Avec Ben nous sommes partis lundi 3 à 5h00 du matin d’El Chalten, il pleuviotait comme prévu. 
Au début ça ne dérange pas trop mais au bout de 3h00 de marche, nous sommes trempés. 
Nous décidons au passage d’une cabane rustique mais étanche de faire une pause et de mettre une couche de plus. 
Le ciel est bâché et rien ne nous laisse espérer une accalmie, nous continuons coûte que coûte, de toute façon il le faut, les fenêtres de beau sont rares.
Une heure après la pause nous arrivons sur la moraine, qui débouche sur un glacier à remonter ; mais le brouillard ne nous permet pas de savoir où nous allons ; La carte plus que rudimentaire ne sert à rien et n'est aucunement exploitable pour s’orienter. 
Nous errons à vue et tombons sur une vieille trace difficile à décerner dans la neige, on se dit que c’est la trace à suivre et on monte en essayant de ne pas la perdre. 
Peine perdue, il n’y a plus de trace et nous avançons à tâtons en espérant tomber sur de meilleures indices. Mais on se rend vite compte que c’est impossible d’avancer sans se perdre, d’ailleurs nous sommes probablement déjà perdu et en dehors de la trace directe. 
Nous décidons de creuser un igloo et d’attendre à l’abri que le temps se calme, car il pleut toujours et nous n’avons pas pris la tente pour être plus léger. Pendant que je creuse l’igloo, Ben décide d’aller explorer les environs, car nous n’avons qu’une seule pelle. 
Il revient plein d’espoir et dit qu’il faut tenter de monter plus haut pour s’avancer, nous sommes encore tôt dans la journée.
Nous montons et arrivons sur une arête en rochers brisées et arrivons à un sommet putride, le Cerro Madsen (1800m), on y voit toujours pas à plus de 20m et nous nous apercevons que nous sommes perdus, rien ne correspond à notre topo, et il pleut toujours, c’est vraiment la loose. 
Nous regrettons de ne pas avoir pris la tente, mais à présent il va falloir se préparer à passer la nuit dans ce mauvais temps. Parfois il y a une petite accalmie, mais ça bruine toujours. En deux heures de temps nous bâtissons un bivouac 4 étoiles tout en pierre et à l’aide d’une couverture de survie nous nous mettons à l’abri.
Notre travail de 2 heures
Le Cerro Madsen et notre désarroi
Dans notre malheur nous sommes quand même heureux qu’il n’y ai pas de vent, sinon nous ne pourrions apprécier cette couverture étanche providentielle. La journée passe et la pluie se transforme en neige et c’est relativement couché que nous nous endormons, bercés par le bruit de la neige qui se dépose sur la couverture de survie. Nous somnolons jusqu’au lendemain matin. On avait mis le réveil vers 4h00 mais il neigeait encore, le doute s’installe…
Le lendemain nous sommes dépités car on sent qu’on a raté le créneau. 
On décide d’attendre que le ciel se déchire car nous sommes toujours dans le brouillard. 
L’objectifs est revu à la baisse, nous allons essayer de repérer le bivouac du « Paso Superior » et y laisser du matériel pour la prochaine fois.
Vers 10h00 du matin, ça y est on devine quelque chose, on n'est vraiment pas sur le bon chemin, pour nous on est foutu, c’est mort. 
On a bivouaqué sur un sommet qui n’a rien à voir avec l’approche.
Le Paso Superoir est en face de nous, oups
Il nous reste que 2 jours de bouffe et nous ne sommes toujours pas au pied de la voie. En plus on s’aperçoit que la neige est bien tombée. Toutes les faces sont plâtrées, c’est un carnage pour notre motivation.
Le peu de motivation qui nous reste nous fait descendre dans un couloir d’éboulis enneigé. Et nous rejoignons une trace évidente que nous n’avons pas trouvée la veille. Nous remontons tranquillement ensuite au camp vers 1950m.
En montant au Paso Superior
Il fait enfin beau, c’est magnifique et notre moral remonte. Ben sur-motivé pour ne pas redescendre bredouille, se tâte à faire une tentative mais la neige est ultra molle et c’est dans de la soupe qu’il faut remonter le glacier pour atteindre la voie. C’est purement un travail de titan de tracer dans cette neige sur-humide. Durant 2h00 on se demande si nous redescendons ou si nous essayons d’aller voir.
Il nous reste un repas du soir et 8 barres de céréales chacun, il nous faut au moins un jour pour faire la voie et un autre jour pour redescendre si on va vite, au vu des conditions enneigées de la face. 
Le constat est vite fait, on est vraiment limite au niveau nourriture. 
Nous n’avons pas passé une bonne nuit et la trace à faire sur le glacier parait surhumaine tellement c’est mou, aucune voie n’est en condition. Tout les éléments et l’enchainement qui nous ont amenés là, nous incitent à rentrer et renoncer, mais c’est sans compter un relent de motivation incroyable de Ben.
On calcule le pour et le contre et c’est avec moult réflexions que nous décidons de faire une tentative en partant le plus léger possible. Nous passons l’après-midi à boire, manger (purée sans sauce !!!) et à se reposer, car nous partirons vers 23h00 pour profiter du regel nocturne et pouvoir atteindre le début de la voie  au lever du jour.
C'est l´heure de la sieste avant un réveil vers 22h00
3 cordées de plus sont venues au campement mais ne savent pas quoi tenter, par rapport à toute cette neige. Par contre ils ont la dernière météo et cela va jouer enfin en notre faveur, demain c’est finalement la meilleur journée, les vents violents vont venir un jour plus tard. C’est avec cette bonne nouvelles que nous nous endormons, le buff sur les yeux, pareil nous somnolons quelques heures en état de transe.

Le réveil sonne, il est 22h00, nous avons dormi 2 heures, il fait encore jour et nous avalons un paquet de biscuits et un litre de Tang chaud. On range les duvets et on les laisse au bivouac, on part le plus léger possible. 23h00, la neige est dure, c’est une aubaine et c’est au pas de course que nous rejoignons la rimaye. Il fait nuit et nous décidons de rejoindre la brèche des italiens par des grandes pentes de neige très raide et du mixte facile. Ça roule pas mal et nous arrivons vers 2h30 à la brèche. La suite est facile et vers 4h00 nous attaquons la première longueur de la « Franco-Argentine ».
Première longueur en 6a+ ça promet pour la suite
Piolets en main et crampons bien calés, c’est parti. Il est impossible de grimper en chausson et du coup nous grimpons lentement et de temps en temps nous tirons sur les protections.
On se croirait en face en Alaska
On est parti en mode sans pitié. Lorsque la longueur est trop dure le second avec le sac à dos jumarde dans les parties les plus raides pour gagner du temps.
Ben en plein boulot
Le jour se lève et c’est un soleil radieux qui nous réchauffe et  nous motive à grimper sans relâche. 
Pas de vent, c’est énorme et très appréciable. Toutes les longueurs sont dures pour le coup. C’est un véritable combat de rue dans chaque longueur. A aucun moment on se dit que c’est gagné et c’est mètres après mètres que nous nous rapprochons du sommet.
C'est raide tout le long, c'est incroyable
Dans un long dièdre en 6b+ de 50 mètres Ben décide de grimper en chausson pour voir, mais fini par remettre les chaussures pour la sortie en neige. On restera en mode dry tooling tout le long. Par moment, tellement fatigué je m’endors en assurant Ben, c’est vraiment limite. 
En 3 nuits nous avons que très peu dormi et par à-coups.
Du dry dément je vous dis
Vers midi nous sommes plus qu’à 4 longueurs de la fin des difficultés, l’itinéraire est bien déchiffré et nous ne commettons aucune erreur. De beaux passages en dry nous défoncent les bras et c’est à bout de force que nous sortons la dernière longueur, la plus difficile en 6b, A2.
La dernière longueur en 6b/A2
Vers 14h30 nous sommes aux pieds de la pente de glace fossile qui mène au sommet, nos lames de piolets émoussées et nos crampons ronds rendent cette glace très fastidieuse à gravir malgré ses 60° d’inclinaison. Je me fais plusieurs zippettes des 2 pieds, me retrouvant pendu sur les piolets en corde tendue évidement. On est fatigué et nous arrivons exténué au sommet vers 16h30, la joie est présente mais la fatigue l’emporte sur l’enthousiasme, surtout que la descente n’est pas encore faite.

Ben et moi, joie et  fatigue
En Patagonie arriver au sommet n’est que la moitié du chemin à parcourir et à partir de là commence une nouvelle course pour rejoindre le pied de la face. Nous sommes à bout de force nous avons mangé en tout et pour tout 4 barres céréales depuis 23h00 la veille, nous sommes au bord de l’hypoglycémie.
Une fois le panorama bien dégusté et quelques photos mythiques en poche nous prenons la direction de la descente.
Le Cerro Torre, notre prochain rêve et derrière lui le Hielo continatale, le plus grand glacier du monde
L’objectif principal de la descente consiste à ne pas coincer la corde en la rappelant, quitte à faire plein de petits rappels. Par chance il n’y a toujours pas de vent et nous rejoignons la selle neigeuse en une quinzaine de rappels. On rejoint la brèche des italiens et nous continuons à caler 6 rappels. Il nous aura fallu cinq heures pour descendre la voie en rappel.
La journée à été chaude et la neige est à présent molle, nous nous enfonçons allègrement dans une neige merdique et rentrons au bivouac en plus d’une heure, exténués. La faim est intenable mais rien à faire les sacs sont désespérément vide de nourriture. Nous nous endormons direct et sombrons dans un coma de fatigue le ventre creux.
Le lendemain matin nous rangeons les sacs et partons sans même boire. El Chalten nous obsède car nous savons que là-bas il y a la nourriture, la tente, le confort, la vie simplement.
Il est 13h00 quand nous arrivons, nous sommes de vrai zombies, les gens se retournent en nous croisant. Le camping enfin atteint, nous mangeons 3 repas en l’espace de 2 heures, une vraie boulimie.
Notre tente au camping et en toile de fond le Fitz Roy, étonnamment proche et si loin en réalité
Nous apprendrons plus tard dans la soirée que toutes les cordées parties pour les diverses ascensions ont échoué à cause de la neige durant le mauvais temps. Nous sommes les seuls à avoir fait une croix. Beaucoup de grimpeurs nous félicitent et la bière sera notre seule nourriture de la soirée jusque tôt dans la matinée.
Un premier sentiment d’allégresse nous envahi, nous venons de réaliser un premier rêve. A présent on va se concentrer sur le Cerro Torre et la voie de la face ouest en espérant un autre créneau favorable. Pour les 6 prochains jours du vent du vent et encore du vent …

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